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Rendre possible le raccrochage scolaire

Petit vade-mecum en dix propositions
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L’Ecole et ses décrocheurs / décrochés qui au moindre accroc filent (rêveries vagabondes, défections perlées ou ruptures radicales), renvoient aux déplorations des politiques, des sociologues, des journalistes constatant depuis un certain temps déjà que le lien social se rompt et que le tissu social se délite. Tous les décrocheurs (non accrochés ?) ne sont pas en LAMBEAUX mais tous affrontent par le prisme de la déscolarisation des problèmes qui les morcellent et les fragilisent.
Rendre possible le raccrochage scolaire (et non pas succomber au syndrome de la toute puissance : « Nous avons les moyens de vous faire raccrocher ») passe d’abord par le jeune lui-même qui après avoir trouvé sa place au sein de notre institution alternative se donnera les moyens d’accéder à l’estime de soi, aux savoirs émancipateurs, à une citoyenneté responsable, aux certifications diplômantes.
Pour être crédibles, pour être efficaces, il nous faut jouer explicitement les cartes :
  notre école est une institution, elle est fondatrice ;
  notre école est alternativeet se garde bien de correspondre au lieu commun délétère « SAMU éducatif compassionnel ».
Nous nous positionnons en MAITRES qui élèvent, en passeurs qui aident à franchir des seuils, en accompagnateurs exigeants prenant en compte le rythme de progression de l’accompagné.

A la lumière des quelques années d’existence de nos différentes structures, il nous semble que contribuer au raccrochage de notre public fort divers exige d’être CLAIR, rassurant sur les repères, les balises qui jalonnent leur retour en scolarité. CLAIR sur le fait qu’il leur faudra s’astreindre à une discipline intellectuelle et que nous ne ferons pas l’impasse de ce qui est au cœur du verbe FORMER : donner une forme, faire apparaître, dans les affrontements nécessaires du savoir académique et de sa normativité, des règles scolaires et de la normalisation des comportements.
Il s’agira alors de dégager tout ce qu’il y a de fécond dans la dialectique entre découverte et acceptation raisonnée de ce qui contraint, dialectique intrinsèquement à l’œuvre dans l’appropriation. Donner une forme, cadrer, non pour soumettre, non pour rendre docile mais pour inviter à la rigueur et à l’ascèse qui autorisent tous les dépassements de soi, toutes les réussites qui pouvaient paraître hors de portée.

Ce préalable posé, inventorions ce qu’il nous incombe de proposer comme situations propices susceptibles de tisser solidement leur expérience scolaire.
La déclinaison qui suit ne se veut ni exhaustive, ni une variante des tables de la loi (il s’agit de 10 préconisations, pas de 10 commandements), elle rappelle chronologiquement que le Raccrochage (comme le décrochage) s’inscrit dans un processus.

Pour (re)devenir élèves, les jeunes doivent pouvoir en toute sécurité :

1. s’y retrouver
Cette expression est à entendre dans toutes ses acceptions possibles :
 vérifier qu’ils y ont leur place (dans l’établissement / dans la classe / dans le groupe des pairs / dans le regard du prof) ;
 mesurer qu’ils y trouvent des repères (s’orienter dans un lieu, dans une question, dans une situation complexe, dans une filière) ;
 apprécier l’existence à leurs côtés d’alter ego (connivences solidaires) ;
 co-construire un statut d’interlocuteur avec les professeurs
 réaliser tout ou partie d’un projet qui compte à leurs yeux
En résumé, y retrouver leur « mise » initiale en la faisant fructifier.

2. capitaliser leur désir d’école inassouvi
Enfoui, parfois même douloureux mais paradoxalement vivace, il ne demande que l’occasion favorable pour se muer en volontariat.
Nos structures expérimentales formalisent un « tope là » inaugural à l’issue de l’entretien de recrutement, ce « tope là » n’est pas un contrat (car il y a inégalité de statut entre les contractants). Il s’agit plutôt d’une reconnaissance tacite entre des sujets responsables, d’une envie partagée engageant les deux décisions distinctes qui sont prises : celle du jeune, celle de l’institution qui l’accueille.
Le oui échangé en connaissance de cause équivaut à un « nous allons y aller ensemble » qui annonce aussi en creux les ruptures possibles… au cas où – après avoir vraiment essayé – il faudrait convenir d’une maldonne : « tu ne tires rien de nous, on ne peut rien pour toi, envisageons autre chose ailleurs », la co construction en amont de deux identités distinctes et partenaires : élèves / profs permettant d’échapper à l’unilatéral et pernicieux : « ils me jettent parce que je ne suis pas bon ».

3. s’y mettre
S’il est effectivement incontournable de s’y mettre (au travail et dans la peau d’un jeune capable de réussir scolairement) pour que se réalisent les avancées décisives et les acquisitions qui élèvent, il ne faut jamais oublier que s’y mettre vraiment c’est prendre le risque de l’implication : le risque existe d’être compromis par un échec et ce d’autant plus douloureusement que l’on s’est donné à fond.
Combien de fois dans une carrière un prof profère-t-il l’avertissement : « il faut, il serait temps de t’y mettre ! » ? Combien de fois un élève sommé de réagir a consenti à ce classique de la langue de bois : « je vais m’y mettre ». Combien de fois l’adulte feignit-il de se satisfaire de cette vague promesse obtenue en réponse à son avertissement solennel ?
Et pourtant ?! comprendre véritablement qu’il faille s’y mettre, c’est accepter l’idée :
  pour l’élève, que l’apprentissage ne peut s’accomplir en extériorité à lui-même, dans le seul exercice d’un TEACH jouant sur la simple capillarité,
  pour le prof, que ″s’y mettre″ c’est objectivement plus facile à dire qu’à faire et qu’en préalable, l’élève ″défaillant″, indolent à l’extrême, doit être armé d’un « comment s’y prendre pour s’y mettre » facilitateur car ne se réduisant pas au seul «  LEARN !  » injonctif.

Le ″s’y mettre″ doit s’opérer sous les auspices :
  d’un regard extérieur exigeant qui encourage, aide méthodologiquement, souligne les acquis lors de l’utile confrontation entre les résultats obtenus et le but poursuivi ;
  d’un échéancier modulable qui dédramatise les ″urgences″, personnalise les rythmes de franchissement de seuils en rendant légitimes les tâtonnements nécessaires.

4. ouvrir la « boîte noire » de l’apprendre
Une fois prémunis de la pernicieuse confusion entre TEACH et LEARN, il reste à :
  à interroger le rapport entre les savoirs profanes et les savoirs savants ;
  à tenir compte des écarts existants entre les pratiques sociales et culturelles de chacun des élèves et l’encyclopédisme du savoir scolaire ;
  à prendre au sérieux l’hybridation du savoir installé, à prendre en compte le SU déjà là… parfois même à leur insu ;
  à travailler les dialectiques : induction / déduction ; constructivisme / magistral ;
  à alterner les situations d’apprentissage et les pratiques d’enseignement.
Ainsi sera-t-il possible d’affronter la complexité de des mécanismes à l’œuvre quand il s’agit d’apprendre.

5. tisser des liens
Les objets de savoir sont souvent abordés par tranches disciplinaires étanches. Ce cloisonnement scolaire fait fi des ancrages épistémologiques communs ou des passerelles nouvelles qui s’ouvrent.
Une démarche transdisciplinaire s’appuyant sur ces ancrages et passerelles met à la disposition de l’élève une pluralité d’éclairages simultanés lui donnant ainsi la possibilité de tisser des liens nécessaire à l’accession à l’intelligibilité des savoirs complexes enseignés. Maîtriser cette complexité, c’est acquérir l’autonomie indispensable pour saisir la portée et la signification des figures imposées disciplinaires et échapper ainsi à leur simple exécution servile.

6. être évalués / s’évaluer
Il s’agit d’éliminer l’angoisse du contrôle vécu comme policier, d’éliminer la violence du déni souvent perçu dans la mise en évidence (en accusation ?) des manques, d’éviter de nourrir le monstre du destin en réactivant l’évidence de ces lacunes qui décidément ne se comblent jamais.
Donner –explicitement – un statut à l’erreur (se tromper pour apprendre selon le vieux schéma de la démarche scientifique) permet de dédiaboliser l’évaluation, d’en évacuer l’instance ″jugement moral″ (le Bien, le Mal) au profit de la pertinence de l’outil / diagnostic répondant au besoin de savoir où on en est.
L’évaluation au service de l’apprentissage (pas instrumentalisé pour trier l’ivraie du bon grain) recentre sur l’activité intellectuelle, sur le processus d’élaboration, de résolution, d’appropriation (pas sur la seule exécution d’une tâche).
L’évaluation en multipliant ses pratiques, en favorisant l’autodidaxie, n’exploitera plus le résultat final obtenu comme une fin mais comme un moyen pour réinterroger ce qui s’est appris en cheminant : « comment as-tu fait / comment ai-je fait… pour en arriver à ça ? ».

7. se confronter à une équipe enseignante
S’aventurant dans le long cours d’études où les connaissances apparaissent ″gigognes″, la réussite improbable et le ″sens″ caché… l’élève cherche souvent du regard ce dont il pourrait s’équiper avec le plus de profit.
L’équipement nécessaire c’est une équipe enseignante, éducative solidaire (mais pas corporatiste) et hétérogène capable d’apparaître comme une ressource comptant en son sein des ″mêmes″ et des ″différents″ car aucun prof n’est à lui seul raccrocheur.
Une équipe souple dans la négociation de la règle, soucieuse de ne jamais induire le bloc contre bloc et ferme dans l’exigence d’une production intellectuelle, solide dans sa volonté de ne pas assimiler exigence et sévérité, l’exigence étant la forme la plus achevée du respect que l’on porte à autrui.
Une équipe à la fois en accord sur l’essentiel (valeurs, principes, objectifs) afin de se garantir d’un effet Pénélope particulièrement déstabilisant : détricoter ce qu’un autre avait mis en forme maille après maille et riche de sa diversité, de ses complémentarités pour faire face à l’inédit.

8. faire vivre la collégialité
Revendiquée comme occasion de se construire comme sujet, la collégialité dépend – pour s’incarner – de la capacité de chacun à s’approprier, à exprimer, à exercer son pouvoir propre.
S’autoriser à prendre la parole, faire preuve d’initiatives, assumer une décision en veillant à ce que l’intérêt général ne se dissolve pas dans le particulier, c’est s’inscrire dans la démarche émancipatrice de l’accès au droit de (à ne pas confondre avec son ombre portée régressive le droit à consumériste et infantile).
L’exercice du ″droit de″ est indissociable de la question de la responsabilité, de la question de l’altérité : “dans ce que je viens de proposer, de décider… qu’est-ce que je fais de l’autre ?”.
Ce ″je″ décliné au sein d’un nous n’est plus muet, plus atone, plus hors-je, plus hors-jeu, il est disponible à la compréhension des enjeux de l’école.
Ce ″je″ identifié au sein du collectif ne produit pas de confusionnisme – bien au contraire – en ce qui concerne la place et le statut des uns et des autres.

9. investir le « hors école » dans le cadre scolaire
L’école n’est pas l’unique lieu de transmission / acquisition de savoirs. Ce rappel peut être salutaire.
Apprendre, réaliser, créer dans des domaines à forte valeur ajoutée, en osant affronter l’épreuve vertigineuse de l’exposition / présentation devant un large public en fin d’année, c’est entrer dans le processus de dépassement de soi qu’il propose.
Les professionnels (tailleur de pierre, urbaniste, etc.) n’appartiennent pas à l’institution scolaire. Ils ont en commun d’être des partenaires associés (pas des prestataires de service) et de chercher à faire découvrir leurs univers, leurs pratiques, leurs enthousiasmes à travers les objets sociaux qu’ils produisent.
Ils donnent à voir, à entendre, à comprendre, à partager la ″grammaire″ propre à chacun de leurs métiers. En s’associant résolument des profanes curieux, ils disent à leurs façons que notre credo de l’éducabilité de tous et de chacun est le leur.

10. reconjuguer le futur
Souvent désorientés : hésitants, ne sachant quelle conduite adopter, quel chemin prendre, les décrocheurs ont besoin de repères spatiaux et temporels. Enlisés dans un présent sans perspectives, ils ne savent comment en finir avec l’exténuation lancinante des espérances futures.
Revenir en scolarité ou persévérer dans une scolarité vacillante c’est attendre encore l’avènement d’un projet structurant qui réconcilierait avec une certaine idée de soi.
Nos offres alternatives ne seront crédibles que si elles les réinscrivent dans un à venir, dans un devenir permettant d’entrevoir le futur comme une promesse.
La suspicion forte concernant les filiarisations jugées misérabilistes ne peut pas être escamotée car elle constitue un préalable.
Il est difficile de faire brèche, d’ouvrir des perspectives porteuses quand le lieu où l’on se trouve semble une impasse.
Nos propositions de raccrochage seront saisies avec prudence puis confiance si nous nous positionnons en MAITRES vraiment décidés à permettre leur accès ″aux grammaires impersonnelles ouvrant à l’universel ″ . [1]
Collégiens, Lycéens ayant raccroché réintégreront ce dont ils n’auraient jamais dû être privés : l’âge des possibles. Alors l’objectif Bac ne constituera plus qu’un horizon intermédiaire, l’ambition de Rousseau devenant première : « vivre est le métier que je lui veux apprendre.

 CLEPT
 Table ronde - Education et recherche : quelle démocratisation du savoir ?




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Notes

[1Philippe MEIRIEU

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