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Attention : profs chercheurs !

L’éducation en recherche pour démocratiser le rapport au savoir ?
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Le Collège Lycée élitaire pour tous est un établissement secondaire public accueillant une centaine de jeunes décrocheurs par an, ayant la volonté de raccrocher. C’est un établissement expérimental et alternatif de l’éducation nationale, qui ne compte pour membres que des enseignants.
La position alternative du Clept est avant tout politique : il s’agit de partir des « paroles de décrocheurs » pour en faire des analyseurs des insuffisances de l’offre scolaire. Ainsi, le décrochage scolaire est envisagé comme un processus produit par l’éducation nationale, notamment au sein de la classe, et c’est pourquoi il est demandé à l’institution d’être à elle-même son propre recours. Les décrocheurs sont en quelque sorte les laissés pour compte majeurs de la démocratisation de l’école qui se réduit à une massification du savoir. Si le Clept est « élitaire pour tous », c’est qu’à l’instar du théâtre élitaire pour tous » qui prétendait offrir le meilleur du théâtre en guise de théâtre populaire (et non un théâtre au rabais, un théâtre « adapté » à un « sous public), la démocratisation passe par donner accès aux savoirs les plus émancipateurs, les plus exigeants, y compris aux laissés pour compte de l’école, à ceux qui n’y avaient plus leur place, mais qui restaient avec un désir d’école inassouvi.
Pour réaliser son ambition, et du coup interroger en retour le fonctionnement normal de l’institution, notamment dans les malentendus récurrents qu’elle entretient avec les jeunes qui en sont les bénéficiaires, le Clept pratique une forme de « recherche-action » au sein de son équipe éducative. Cette recherche-action ne consiste pas à vulgariser, ni à appliquer les « résultats » et les analyses des sciences de l’éducation ou de la sociologie de l’éducation, mais à chercher à problématiser les difficultés scolaires que nous rencontrons dans notre professionnalité renouvelée, ou que les raccrocheurs découvrent, affrontent ou fuient, dans leur tentative de reconstruire une place à l’école, de renouer avec les savoirs, en se réconciliant le plus souvent avec le monde adulte, avec les profs, avec eux-mêmes. Démocratiser le savoir passe nécessairement pour l’équipe du Clept par un questionnement des pratiques enseignantes et du rôle de l’institution vis-à-vis de ceux qui en sont les bénéficiaires. Ce questionnement ne passe pas par l’extériorité du savoir universitaire dégagé des pratiques et de ses tensions voire de ses contradictions, mais au contraire par une implication accrue qui passe par une expérienciation de l’expérimental, par des processus de subjectivation qui font pendant à l’exigence d’objectivation et de problématisation des situations, des dispositifs et des pratiques.

Concrètement, cela suppose que chaque enseignant renonce à la posture très formaliste de se contenter d’« instruire », pour accepter d’éduquer, dans la mesure où il ne s’agit pas uniquement de transmettre des savoirs déjà formalisés, mais de permettre à chaque jeune volontaire pour raccrocher de réfléchir son rapport aux savoirs et à l’école, pour devenir désormais le sujet de son éducation et de sa formation (car il s’agit bien de s’élever, de se transformer par et avec les savoirs), et non seulement un objet de blâme ou d’éloge, voire de son orientation. Pas d’école de raccrocheurs sans que ceux-ci deviennent les véritables interlocuteurs, les véritables sujets, de ce qui s’y joue : ils en sont bien évidemment le centre, et non le prétexte ou le faire-valoir.
Concrètement, cela passe également par un travail d’équipe hebdomadaire (au minimum 4 heures) qui a pour obligation de dépasser le fonctionnel et le décisionnel – puisqu’il s’agit d’une équipe collégiale, sans hiérarchie, mais avec une coordination – qui se définit ses objets de travail au cours de l’année afin de défricher de nouvelles perspectives, qui fonctionne comme un séminaire de co-formation et de pratique réfléchie, dont la fonction est non seulement d’amener chacun à se nourrir pour modifier, voire transformer ses pratiques d’accompagnement ou de cours, mais également à constituer une identité collective qui se vérifie à chaque rencontre d’autres structures alternatives et innovantes. Il y a une manière cleptienne de poser la question politique de l’école et de ses décrocheurs, et c’est le résultat de ce travail continué de l’équipe, qui se finalise chaque année par un séminaire de trois semaines, contemporain des épreuves du baccalauréat. C’est bien entendu dans cet espace que se définit le « bien commun » du Clept, et que cherche à se jouer, au sein de l’institution, quelque chose d’instituant, qui nous amène à dépasser la forme hiérarchique pour s’autoriser à innover, à questionner, en ayant pour ligne de mire de défendre et transformer l’école, défendre ses missions et sa finalité émancipatrice, et transformer car l’école telle qu’elle existe aujourd’hui pose problème, les décrocheurs étant là comme symptôme pour nous le rappeler.

Ce travail se poursuit, voire s’aboutit, dans les pratiques d’essaimage et de partage qui se jouent avec les autres établissements demandeurs de formation, ou les établissements alternatifs, fédérés dans la FESPI (Fédération des établissements secondaires publics innovants). Sur une équipe de 14 équivalent temps plein (18 personnes), 7 membres s’investissent dans le groupe essaimage, qui vise à « faire bénéficier des bonnes pratiques expérimentées » (propos du Ministre J. Lang à la création du Clept) les collègues ou la sphère publique en général, que ce soit sous forme de formation, de publications (articles, livres, films documentaires), de séminaires de réflexion (plusieurs colloques, et des séminaires) ou d’immersion lorsque nous accueillons des acteurs de politiques éducatives au sein de notre équipe pour qu’ils en prennent la mesure. Enfin, un partenariat particulier avec les universités commence à se développer, puisque nous devenons référence de stages possibles en master, membres de jury de Master au titre d’expert, ou référents de programme européens de recherche en éducation, voire outre atlantique. Cet essaimage suppose que se dialectisent les questionnements internes et externes de l’équipe pour que chacun bénéficie, là où il en est (les « jeunes » comme les « vieux » de l’innovation), de ce qu’il en peut tirer. Ce travail d’essaimage n’est toutefois pas que « technique », ou d’« expertise », il est encore et toujours indissociablement politique et pédagogique, en ce sens que ce qui l’anime c’est de renvoyer aux membres de l’institution volontaire pour affronter leurs difficultés une problématisation de leur situation qui leur permette, en équipe, d’avancer en affrontant ces difficultés, et non comme des experts ayant réponse à tout. C’est que le prisme du décrochage ouvre beaucoup de perspectives pertinentes pour interroger l’école.
Du coup c’est presque « naturellement » – et dès notre origine - que s’est posée la question de travailler avec les autres établissements pour décrocheurs en France, et plus généralement avec les autres établissements expérimentaux. Ce qui nous réunit fondamentalement, c’est le partage du sentiment de l’impérieuse nécessité de transformation au sein de l’éducation nationale, d’un « faire école autrement », en refusant que ces réformes soient modélisées hiérarchiquement, par le haut : nos innovations sont toues des « désobéissances qui ont réussi », car elles affrontaient de réelles difficultés. Depuis trois ans existe une Fédération qui cherche à construire un pôle alternatif au sein de l’éducation nationale qui devienne un partenaire légitime de la grande institution. Les séminaires réguliers de rencontres sont autant de lieux où chacun peut questionner ses pratiques, travailler finement la dialectique identité / différence au sein de chaque équipe et entre établissements, où peuvent s’ouvrir des perspective de réflexion et d’action, tant politique que pédagogiques. La Fespi poursuit cette dynamique en créant un Centre national de formation à l’innovation, réunissant dans chaque équipe les membres investis dans l’essaimage, afin de pouvoir couvrir l’ensemble du territoire, de construire une offre de formation et d’intervention transversale et faisant référence, et d’initier non seulement des échanges de pratiques, mais des pratiques de co-formation, en interne comme en externe. Ce CNFI vise prioritairement un public de cadre et de formateur, afin de démultiplier au maximum cette perspective de réformes qui vient du bas.

Site internet du CLEPT
Table ronde - Education et recherche : quelle démocratisation du savoir ?




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