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Ces milliers de migrants qui meurent en route... Pourquoi ?

par Jo Briant
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29 mars 2009, à 30 km des côtes libyennes, a eu lieu un des plus grands naufrages de l’histoire de l’immigration en Europe : sur trois embarcations parties de Libye, deux ont coulé et une troisième a disparu. Seulement 23 rescapés, 23 cadavres repêchés... et 500 disparus, sans doute engloutis par le Canal de Sicile. Un drame parmi tant d’autres : l’association européenne FORTRESS, qui dénonce l’« Europe forteresse », estime qu’il y a désormais au moins, chaque année, 3 500 migrants engloutis dans les eaux de la Méditerranée ou de l’Atlantique. Dans la mesure où les chancelleries de l’Union Européenne délivrent de moins en moins de visas, y compris pour les ressortissants des pays en guerre (Irak, Congo, Soudan...), dans la mesure où le chômage, la misère, la malnutrition dévastent de plus en plus de pays du Sud... il ne faut pas s’étonner que les jeunes désespérés d’Afrique soient prêts à prendre tous les risques... Les bateaux usines de France, d’Espagne, du Japon ont littéralement « asséché les ressources halieutiques de la Mauritanie, du Sénégal ou de la Guinée : la filière de la pêche artisanale de ces pays a de ce fait disparu... De même que les exportations européennes de pattes de poulet congelées (car les morceaux »nobles" du poulet ne sont pas pour les Africains...) ont ruiné les éleveurs locaux qui ne peuvent pas s’aligner sur des prix aussi concurrentiels...

Oui, j’ai honte, mille fois honte de cette France, de cette Europe barbelée qui essaient d’ériger barrières sur barrières, camps d’internement sur centres de rétention, à la fois sur leur sol et dans des pays comme le Maroc, la Tunisie ou la Libye qui sont devenus comme les gendarmes avancés de l’Europe, de toutes ces lois plus répressives les unes que les autres qui fabriquent chaque jour de nouveaux sans papiers (environ 300 000 en France...). Tant qu’on ne voudra pas s’attaquer aux causes économiques et politiques qui font que ces milliers et ces milliers de « parias » du Sud sont prêts à risquer leur vie pour venir, tant qu’on annulera pas une dette odieuse et illégitime mille fois payée par le jeu des intérêts, mais à laquelle nombre de pays d’Afrique doivent consacrer jusqu’à 35% de leur budget, bien plus qu’à la santé et à l’éducation réunies, tant que nous soutiendrons - ah ! Cette Françafrique !- les régimes les plus corrompus et les plus répressifs comme ceux d’Omar Bongo au Gabon, de Paul Biya au Cameroun, d’Idriss Deby au Tchad, de Sassou Nguesso au Congo, il sera illusoire de vouloir contenir ce flot de migrants qui cherche une terre d’accueil et de sécurité. Et que faisons-nous de l’article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 qui reconnaît le droit à la libre circulation des personnes ?

Le sans papiers est comme la figure concrète et symbolique de notre monde : il nous renvoie en permanence à l’extrême inégalité, à l’injustice d’un monde barbare, révoltant, inacceptable, à là d’où il vient, mais aussi à notre société de non accueil, où se pratique chaque jour la chasse aux étrangers afin de remplir des quotas d’expulsions...

Face à ce drame permanent, à tous ces naufrages quasi quotidiens qui engloutissent des milliers de vies d’hommes et de femmes qui n’ont même pas droit à une sépulture ( comment ne pas penser à leurs frères et soeurs esclaves victimes de la traite négrière quatre siècles durant et dont les squelettes jonchent littéralement les fonds sous marins de l’Atlantique), un SURSAUT et une RESISTANCE s’imposent, non seulement pour défendre cas par cas les demandeurs d’asile et les sans papiers, mais pour interpeller fortement les politiques : quelles propositions à court et à moyen terme pour qu’émerge enfin une toute autre politique d’asile et d’immigration, mais aussi une politique de solidarité internationale qui s’attaque aux causes de cette situation absolument intolérable . Et si notre regard en direction de tous ces migrants changeait ? Et si, au lieu de les présenter comme une menace, comme un « problème », nous les percevions enfin comme une richesse, comme un apport qui contribue à faire de notre pays une société interculturelle, métissée, riche de tant de diversités ?

Jo BRIANT, animateur du Centre d’Information Inter-Peuples, porte-parole de la coordination iséroise de soutien aux sans papiers, auteur du livre « Mes luttes, nos luttes pour un autre monde », ed. La Pensée sauvage, 1987

Table ronde - Nation ouverte, nation fermée : quelle place pour les immigrés ?




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